Bienheureux Rutilio Grande García

Prêtre jésuite salvadorien martyr

Fête le 12 mars

El Paisnal, Salvador, 5 juillet 1928 – † Aguilares, Salvador, 12 mars 1977

Rutilio Grande García

Rutilio Grande, né le 5 juillet 1928 à El Paisnal (Salvador), et mort (assassiné) le 12 mars 1977 à Aguilares (Salvador), est un prêtre jésuite salvadorien, qui était curé de Aguilares où il développa une action pastorale inspirée de la théologie de la libération. Il fut tué par balles, ainsi que ses deux collaborateurs, alors qu’il rentrait d’une visite pastorale. Il sera proclamé bienheureux en 2020.

Le décret du 21 février 2020 reconnaît le martyre de trois personnes au Salvador : Rutilio Grande García, prêtre jésuite, et deux compagnons laïcs, son aide paroissial de 72 ans, Manuel Solorzano, et un adolescent de 16 ans, Nelson Rutilio Lemus, tués en « haine de la foi » le 12 mars 1977.

Jeunesse et formation

De famille modeste, Rutilio perd sa mère à 4 ans. À 12 ans, il confie à l’évêque du diocèse, Luis Chavez, son souhait de devenir prêtre. L’année suivante, en 1941, l’évêque l’envoie au petit séminaire du Nicaragua, Ses études secondaires terminées il entre dans la Compagnie de Jésus (23 septembre 1945) et fait son noviciat au Venezuela. Une crise spirituelle lui fait interrompre ses études: il enseigne alors durant deux ans à Panama (1949-1950). Pour les études de philosophie et théologie il se trouve en Espagne, à Oña, près de Burgos (1953-1960). Il est repris de doutes sur sa vocation, mais dans un acte de confiance, va de l’avant. Il est ordonné prêtre le 30 juillet 1959 à Oña (Espagne).

Après deux ans d’enseignement dans son pays, il revient en Espagne pour son Troisième An (1962-1963). Cependant, ce temps de silence et réflexion intérieure réveille en l’homme qu’il est – porté ordinairement à l’introspection – un sentiment d’anxiété. Un grand changement intervient lorsqu’il se spécialise en théologie pastorale à Lumen Vitae, Bruxelles (1963-1964). Il y découvre la théologie de la libération. Les nécessités graves du travail apostolique le libèrent de préoccupations morbides d’un perfectionnisme personnel qui le tourmentent.

Enseignement et travail socio-pastoral

De retour dans son pays, il enseigne la théologie pastorale au grand séminaire de San Salvador (1964-1970) et est chargé de guider l’action pastorale et sociale des séminaristes sous sa direction. Il apprend, personnellement, à tempérer un vif idéalisme de ‘libération’ aux réalités concrètes des quartiers populaires et bidonvilles.

Comme professeur de séminaire, il a une position en vue dans l’Église locale. L’archevêque Chavez lui confie la responsabilité de la commission chargée de préparer la réunion des évêques du pays. En 1970, il invite ces évêques à ne pas s’aliéner de leur peuple écrasé par tant d’injustices. Cela ne passe pas inaperçu. La presse commence à parler de Rutilio Grande comme d’un « crypto-communiste ». Un sermon dans la cathédrale (en août 1970) devant un parterre d’autorités civiles et ecclésiastiques fait grand bruit: il y exalte Jésus, le ‘révolutionnaire (le Salvador) venu sauver les peuples’.

Par prudence, Grande est pour un temps éloigné. Il enseigne dans un collège, puis est envoyé à l’institut pastoral de Quito (Équateur). En 1972 il est de retour dans son pays et, en septembre, il est nommé curé d’Aguilares, une ville en zone rurale de 30 000 habitants. Sa paroisse comprend également de nombreux villages des alentours.

A Aguilares son projet de former des communautés chrétiennes de base prend forme. Des ‘missions’ de 15 jours sont organisées en 25 endroits différents. La lecture de l’Évangile est au point de départ des réunions. Les participants réfléchissent au message évangélique et cherchent comment le mettre en pratique dans leur vie. Les communautés élisent leurs ‘Délégués de la Parole’ auxquels Grande donne une formation plus poussée: ils deviennent les leaders de ces groupes.

Le travail pastoral est essentiellement religieux, mais cela a des effets sociaux. Les paysans recouvrent leur dignité. Ils demandent un juste salaire. Une grève est organisée dans une plantation de canne à sucre; elle est un succès. Les propriétaires terriens et les milices s’alarment et accusent les prêtres de ‘subversion’ et ‘communisme’. Certains travailleurs sociaux sont torturés. Dans sa campagne électorale de 1977 le candidat à la présidence promet de ‘libérer le pays des jésuites’. Ses supérieurs, y compris l’archevêque Chavez, recommandent ‘prudence et modération’.

Assassinat en mars 1977

Le 23 février 1977, Óscar Arnulfo Romero, évêque auxiliaire depuis 1970, succède à Chavez – atteint par la limite d’âge – comme archevêque de San Salvador. Romero est dit ‘conservateur’, aussi cette nomination est-elle bien reçue par le gouvernement, au contraire des milieux d’Église qui sont consternés. Cependant, dès le 5 mars, Romero écrit une lettre censurant le gouvernement pour ses tentatives d’intimidation, y énumérant une série de crimes, et disparitions restées sans investigation sérieuse.

Le 12 mars 1977, Rutilio Grande, accompagné d’un aide paroissial de 72 ans, Manuel Solorzano, et d’un adolescent de 16 ans, Nelson Rutilio Lemus, se rendent d’Aguilares à El Paisnal – son village natal – pour la messe du soir (de la neuvaine de Saint-Joseph). Leur jeep est prise en embuscade sur la route. Une rafale de mitraillette envoie la jeep dans le fossé. Grande et son assistant meurent sur le coup. L’adolescent, blessé, est achevé d’un coup de feu dans la tête. Des escadrons de la mort au service du régime sont accusés du triple meurtre.

Dès qu’il est informé du meurtre l’archevêque Oscar Romero, un ami personnel de Rutilio Grande, se rend immédiatement dans la chapelle ardente où se trouvent les corps des trois victimes. Il y passe des heures à écouter les paysans et leurs récits de souffrances et injustices. L’évêque est profondément ému; cet assassinat est un tournant dans sa vie. Le dimanche suivant, toutes les messes dominicales sont supprimées dans son diocèse : une seule et solennelle eucharistie dans sa cathédrale de San Salvator (malgré la loi martiale en vigueur, qui interdit toute réunion publique). 200 prêtres et plus de 100 000 personnes y participent. Romero lance un appel vibrant et solennel à ce que cesse toute violence dans le pays. Lui-même sera assassiné trois ans plus tard, le 24 mars 1980.

Après l’assassinat

  • Pour réfuter une version officielle des faits publiée dans la grande presse nationale (contrôlée par le pouvoir militaire) l’Archevêché de San Salvador publie le communique suivant (14 mars 1977) :

« La vraie raison de la mort de Grande était son rôle prophétique et ses efforts pastoraux pour une prise de conscience populaire dans sa paroisse. Le père Grande, sans s’imposer ni heurter ses fidèles dans leur pratique religieuse, formait avec eux une communauté de foi, d’espérance et d’amour. Il les aidait à retrouver leur dignité comme personnes, et reconquérir leurs droits. Ses efforts cherchaient un développement humain intégral. Cet effort ecclésial, stimulé par le Concile Vatican II, n’est certainement pas agréable à tous, car il réveille la conscience du peuple. Ce travail dérange beaucoup de monde, et pour y mettre fin il était nécessaire de liquider ceux qui y sont attelés. Dans ce cas-ci il s’agit du père Rutilio Grande ».

Béatification

En septembre 2015, la Congrégation pour les causes des saints autorise le diocèse de San Salvador d’introduire la cause pour sa béatification et canonisation. L’enquête diocésaine s’est clôturée en octobre 2016 et transférée à Rome pour y faire reconnaître son martyre par le Saint-Siège.

Le 21 février 2020, le pape François reconnaît le martyre de Rutilio Grande, et signe le décret de sa béatification. Il sera solennellement proclamé bienheureux, au cours d’une messe qui sera célébrée au Salvador dans le courant de l’année 2020.

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